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Si riche, mais pourtant si pauvre! Imprimer Envoyer
Johnny Marre
Lundi, 08 Août 2011

Il n’est pas donné à tout le monde de savoir raconter une histoire. Certains de nos humoristes y parviennent avec intelligence, comme Yvon Deschamps, Martin Matte, Clémence Desrochers ou Michel Barrette. Il y a aussi des conteurs nés comme Fred Pellerin, le plus illustre et le plus imaginatif. Ceux et celles qui ont beaucoup moins de talent sont souvent obligés de verser dans la vulgarité ou dans le langage sexuel pour faire carrière.

Au théâtre, il y a les Michel Tremblay, les Robert Lepage, tout comme il y a eu les Molière, Shakespeare, Feydeau ailleurs. Depuis notre plus tendre enfance, nous aimons nous faire raconter de belles histoires, qu’elles soient des pays d’en haut ou de tout autre coin de notre univers.

Au cinéma, il en va de même. Force est, par contre, de constater que l’intelligence du récit n’a rien à voir avec le budget. Les Américains qui ont dans ce domaine, comme dans la plupart des autres, tout l’argent dont ils ont besoin pour produire leur cinématographie, réussissent rarement à faire preuve de grand art dans leurs scénarios. S’ils excellent au niveau technologique pour le 3D et les effets spéciaux, s’ils sont le plus souvent efficaces dans les films d’action ou pour les enfants, ils arrivent de moins en moins à être capables de nous raconter une histoire toute simple. C’est comme si trop de moyens pouvait tuer la simplicité.

Pourtant, on dit que le passé devrait être garant de l’avenir. La liste est très longue (http://fr.wikipedia.org/wiki/Top_100_de_l%27American_Film_Institute) des chefs d’œuvre du cinéma américain. De « Citizen Kane » à « La liste de Schindler » ou « Pulp Fiction », en passant par « Casablanca », « Les raisins de la colère » ou « Le choix de Sophie », la cinématographie américaine est riche d’histoires à voir et à revoir. Toutefois, depuis plusieurs années, cette richesse se perd. Plus souvent qu’autrement, l’intelligence des scénarios américains a perdu de l’altitude et se résume à une culture de bas étage où la vulgarité et la bêtise humaine règnent en maître.

Pas fous ces américains, car ils savent trop bien qu’entre un film comme « Un jour » (sur nos écrans, le 19 août prochain) et « Méchants patrons » (récemment à l’affiche), les recettes seront beaucoup plus gagnantes pour le second que pour le premier. Ils ont compris que c’est ce genre de films qui est payant au box-office. Ce n’est pas toujours la recherche de l’art qui prime. Le peuple raffole de vulgarité et de propos de bas étage. Alors, on ne fait que répondre à la demande, à notre demande de soi-disant cinéphiles.

Un à zéro pour les Américains! Et c’est pourquoi les propriétaires de films chercheront davantage à programmer ce genre de films, plutôt qu’un film français ou d’ailleurs. Ils sont en business avant tout. Qui peut les blâmer? C’est ainsi que pour voir un film français ou étranger, il faut aller plus souvent qu’autrement à Laval ou à Montréal. Peu de ces films réussissent à se rendre un peu plus loin en région, comme on dit souvent. Ce ne sont jamais ces films intelligents qui figurent en tête du box-office. Et pourtant… C’est pourtant dans ces films français, anglais (de l’Angleterre!), belges, italiens ou autres que l’art de raconter une histoire prend véritablement et intelligemment tout son sens premier.

S’il y a un cinéma qui s’illustre aussi de plus en plus brillamment à ce chapitre, c’est bien notre cinéma québécois. Avec pourtant des budgets beaucoup plus limités, on réussit à nous raconter des histoires nettement plus relevées que ce qui nous vient du sud de nos frontières. Si nous avons eu « Mon oncle Antoine », « Les invasions barbares », « J. A. Martin, photographe » ou « Un zoo la nuit », pour ne nommer que ceux-là, nous avons eu récemment, entre autres, « Incendies », « Route 132 » et « Piché entre ciel et terre ». Nous aurons bientôt « Pour l’amour de Dieu », « Café de Flore », « Le bonheur des autres » qui promettent et sauront sûrement refléter le haut niveau de recherche de nos cinéastes dans leur art de nous raconter une histoire qui élève l’esprit. Sans être chauvin, force est de reconnaître aussi que, généralement, nos comédies sont beaucoup plus brillantes que celles de l’Oncle Sam.

Il y a lieu de douter que ces films de qualité attireront des foules, sauf pour les comédies. Il y a lieu de douter que ces films figureront en tête du box-office, même si certains remporteront des prix prestigieux à l’étranger. C’est plutôt « Lui, c’est moi » ou « Notre idiot de frère », deux films américains actuels parmi d’autres, qui ne mériteront aucun prix cinématographique, si ce n’est celui de figurer en tête des ventes. Qui est donc responsable de la pauvreté grandissante du cinéma américain (en dehors du cinéma d’action ou pour enfants) dans l’art de raconter une histoire, si ce n’est que nous en cautionnant ce genre de films par nos choix de cinéphiles plus ou moins avertis?

Nous ne récoltons que ce que nous semons, parait-il. Pourrions-nous faire l’effort de mieux choisir ce que nous semons afin que la récolte s’enrichisse culturellement au lieu de s’appauvrir? Ou est-ce rêver en couleurs? Parce que, finalement, qui se préoccupe vraiment aujourd’hui de la qualité de notre nourriture de l’esprit? Déjà celle du corps, c’est souvent loin d’être évident. Il ne faut pas trop nous en demander.


Johnny Marre