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Le talent boudé Imprimer Envoyer
Opinion
Écrit par Pierre Lauzon   
Lundi, 29 Mars 2010

Quand j’étais enfant, une orange était un cadeau. J’ai connu l’époque où les fruits et légumes n’étaient pas disponibles à l’année longue, comme c’est le cas aujourd’hui. Dans plusieurs familles, l’orange était ce que l’on retrouvait au fond du bas de Noël, seul et unique cadeau des enfants que nous étions alors. Quel plaisir d’attendre ce jour où nous pourrions déballer ou plutôt vider ce bas exceptionnel! Quel plaisir de sortir cette orange, de la tenir dans nos mains, de l’éplucher, de goûter à son jus si attendu, de sentir son parfum qui envahissait toute la maison jusqu’au bout de nos doigts! C’était un moment de grand bonheur.

Aujourd’hui, les enfants vont à l’épicerie et ne portent pas attention à ce fruit du bonheur d’autrefois, tout comme nous tous d’ailleurs. La plupart du temps, nous évitons d’en acheter. Nous préférons acheter seulement son jus. C’est plus facile. L’orange a besoin d’être épluché. Cela demande du travail, un peu de temps. Le jus, c’est si pratique. L’orange a encore sa place dans notre vie, mais elle est devenue banale parce que la rareté d’autrefois a fait place à la surabondance d’aujourd’hui.

Dans le patelin de mon enfance, il ne s’y passait pas grand-chose. Un spectacle dans mon petit coin de pays était tellement rarissime, encore plus que les oranges, que s’il y en avait un, tous y accouraient pour voir l’artiste, pour voir ce cadeau inespéré. Pour voir un spectacle, il fallait penser à se déplacer vers Montréal. Les grands artistes de tous les univers ne venaient que très exceptionnellement en régions, comme on dit aujourd’hui.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. C’est plutôt le contraire. Ce n’est que pour des spectacles de grandes envergures comme le Cirque du Soleil, ceux au Centre Bell ou des grands ensembles, tels l’Orchestre symphonique de Montréal ou les Grands ballets de Montréal, qu’il nous faut penser à prendre la 15 pour les voir. Tous les autres artistes viennent à nous. Les diffuseurs sont nombreux. Le choix est très varié et très accessible. Vous n’avez qu’à voir tout le menu artistique annoncé sur notre journal virtuel pour constater dans quelle abondance nous baignons. Tout comme l’orange, c’est devenu banal qu’un ou une artiste vienne nous livrer son art dans notre patelin. Ce n’est plus un événement.

Les Diffusions Amal’Gamme, un des très importants diffuseurs des Laurentides, sont ces ouvreurs d’art qui nous permettent d’accueillir des artistes de très grande qualité dans notre cour laurentienne. Samedi dernier, pour finir en beauté ce mois de mars exceptionnel, on ne nous proposait rien de moins que Karen Young, cette chanteuse à l’immense talent. Alors que la plupart des spectacles de ce diffuseur ont lieu à Prévost, il nous proposait, pour une deuxième fois dans sa programmation, un spectacle à Saint-Sauveur afin de rejoindre un plus large public.

Force fut de constater que les Sauverois et les Sauveroises n’ont pas entendu  l’invitation de très grande qualité qu’on leur avait faite, qu’ils et elles l’ont boudée en quelque sorte. Comme l’orange qu’il faut éplucher, cela demande un petit effort pour quitter son nid douillet et se rendre sans difficultés au lieu rapproché du spectacle. Toutefois, tout comme l’orange, quel bonheur, quel plaisir pour le si petit effort demandé!!!

Car les « audacieux » qui étaient présents au Chalet Pauline-Vanier, pour la plupart de l’extérieur de Saint-Sauveur, ont eu beaucoup de plaisir à suivre cette très grande artiste qu’est Karen Young et son complice, Éric Auclair, dans leur aventure musicale. C’était en effet une aventure (le titre même, « Électro-Beatniks », le laissait entendre), mais nullement trop flyée pour ne s’adresser qu’à des connaisseurs.

Premièrement, il était évident que Karen Young et Éric Auclair étaient heureux de nous rendre visite. Le mélange de la merveilleuse voix de madame Young qui se mariait tellement bien aux cordes de monsieur Auclair et aux instruments électroniques, nous a permis de plonger dans un univers si mélodieux et si peu souvent accessible. La majeure partie du menu de ce dernier samedi de mars était composé de poèmes de Karen Young, mis en musique avec la complicité d’Éric Auclair. C’était inusité, surprenant parfois, mais combien captivant. Nous avons eu droit aussi à quelques autres œuvres, dont deux chansons en français de Richard Desjardins que Karen Young nous a offertes à la hauteur du talent que nous lui connaissons depuis plus de trente ans.

Devant l’absence des Sauverois, est-ce que les Diffusions Amal’Gamme éviteront d’aller à leurs devants pour leur prochaine programmation? Faudra-t-il créer la rareté pour que les gens s’intéressent davantage à l’offre artistique dans nos Laurentides? À l’avenir, bonnes gens de Saint-Sauveur, saurez-vous reconnaître les invitations que l’on vous fait ou êtes-vous déjà trop gavés pour qu’on en rajoute? Ce qui est sûr, c’est qu’une très grande artiste vous a rendu visite et que vous avez boudé sa présence exceptionnelle parmi vous.

Au plaisir de vous voir nombreux à Prévost pour le reste de la programmation des Diffusions Amal’Gamme!

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour