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Wow! Imprimer Envoyer
Opinion
Écrit par Pierre Lauzon   
Dimanche, 30 Janvier 2011

Pour le dernier samedi de janvier, à quelques kilomètres l’un de l’autre, deux pianistes de très grand talent, au répertoire différent, charmaient au même moment leur public respectif. À Saint-Jérôme, le pianiste de renommée internationale, André Gagnon, revenait visiter ses mélomanes des Laurentides après s’être fait discret pendant plusieurs années. C’est un pianiste admiré un peu partout par la richesse de ses œuvres et de leurs interprétations. Même s’il a déjà  roulé sa bosse depuis plusieurs décennies, notre Dédé national est une valeur sûre.

Dans la municipalité voisine, à Prévost, dans la salle de l’église Saint-François-Xavier, grâce aux Diffusions Amal’Gamme, c’est un très jeune pianiste qui avait convié les Laurentiens à constater combien la musique des grands et la sienne peut être belle. À 19 ans, on qualifie Philippe Prud’homme, ce jérômien, de prodige. Quand on sait que le Petit Larousse définit un prodige comme étant une personne d’un talent ou d’une intelligence rare, remarquable, on se dit qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour attirer le public, le sortir de son confort douillet de l’hiver. On se présente donc au récital avec des attentes très élevées, mais aussi avec une certaine réserve pour ne pas être déçu. Le programme nous annonce non seulement des œuvres très variées des grands maîtres de la musique, comme Chopin, Rachmaninov, Schumann, Beethoven, Bach et Scriabine, mais aussi une œuvre en ouverture d’un compositeur montréalais, Denis Gougeon, et même une œuvre de l’artiste prodige. Wow! Ça promet. Les attentes sont on ne peut plus élevées.

Malgré son jeune âge, Philippe Prud’homme n’en est pas à sa première prestation à Prévost pour les Diffusions Amal’Gamme. En avril 2008, il avait fait la première partie d’une artiste internationale. Cette fois-ci, le défi est de taille. C’est à un programme complet qu’il s’attaque devant un public qui ne demande qu’à être conquis, s’il ne l’est pas déjà. Bienvenue, Philippe, dans la cour des Grands!

Pourtant, ce jeune prodige est loin d’avoir trippé sur la musique depuis sa tendre enfance. On est loin du petit Mozart ou même d’un Alain Lefèvre, qui, à quatre ans, jouent déjà du piano et composent leurs premières œuvres. Au contraire, Philippe a plutôt la musique en aversion. Même si ses parents décèlent ce qui semble être des prédispositions particulières pour cet art, Philippe ne veut rien savoir. Son père confiait à quelques-uns d’entre nous, après le spectacle, que pour son onzième anniversaire, il lui avait offert un clavier au cas où il aimerait s’amuser à jouer quelques tounes de temps en temps. Il retrouva son fils en pleurs parce qu’il était très déçu de son cadeau d’anniversaire. Philippe lui réaffirma qu’il ne voulait rien savoir de la musique.

Quel déclic s’est-il produit chez ce très jeune adolescent pour qu’à douze ans, il décide d’entreprendre des études en piano? Pour la suite, tel un barrage qui se brise et laisse aller ce qu’il a retenu trop longtemps, c’est un talent exceptionnel qui nous inonde enfin au grand jour pour la plus grande joie de tous. À quinze ans et demi, (oui, oui, vous avez bien lu!), il est admis à titre exceptionnel au baccalauréat en musique à l’Université de Montréal. À l’âge où les gars de son âge n’ont pas encore le nombril sec et se battent contre l’acné, lui, Philippe, est déjà à l’université de la musique. Il faut le faire. Ce baccalauréat étant déjà terminé, il entame maintenant une maîtrise en interprétation. Qui dit mieux?

C’est donc un Philippe Prud’homme, complètement détendu et en pleine maîtrise de son art, qui s’est présenté sur la scène des Diffusions Amal’Gamme. Sans aucune feuille musicale devant lui, il s’est livré à une prestation qui a laissé tout le monde bouche bée. Les dix œuvres qu’il nous a offertes témoignaient à chaque fois de son très grand talent. Même si l’œuvre d’Alexandre Scriabine comportait pas moins de 24 courtes préludes, il nous les a livrées avec beaucoup de brio.

Alors qu’à Saint-Jérôme, le programme musical d’André Gagnon était sûrement tout en douceur, l’âge aidant, et qu’il a probablement offert son célèbre « Wow » aux allures disco, à Prévost, c’est le public qui a dit « Wow! » devant les exécutions dynamiques d’un Philippe Prud’homme qui sait ajouter sa touche personnelle à ses interprétations et qui sait aussi jouer tout en douceur comme sa magnifique interprétation de la Sonate au clair de lune de Beethoven.     

Comme si d’exécuter les grands maîtres n’était pas suffisant, Philippe nous a offert une de ses compositions qui nous laisse entrevoir tout le potentiel de ce talent exceptionnel. Pendant ce temps, de nature plutôt réservée et loin d’avoir la grosse tête pour autant, il semble se demander pourquoi on le trouve dans une classe à part. C’est tellement naturel chez lui qu’on croirait qu’il a le goût de nous dire : « Y a rien là, man! ». Et pourtant…

Pour vous convaincre un tantinet que je ne beurre pas trop épais, prenez le temps de l’écouter quelques instants (écoutez).

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour