Je me souviens : lettre ouverte

Envoyer Imprimer
 
    J'aurais voulu aller rencontrer ces femmes musulmanes à Hérouxville pour partager leur culture et leurs recettes, mais surtout pour profiter de l'occasion de leur expliquer notre devise je me souviens.
 
    Je me souviens que, dans mon jeune âge, nous ne pouvions pas entrer à l'église sans avoir un voile ou un chapeau sur la tête. À cette époque, je me souviens aussi que c'était un péché mortel que de manger de la viande le vendredi. Dans la même décennie, je me souviens que ma mère a été chassée de l'Église parce qu'après avoir mis au monde quatre enfants, elle ne voulait plus en avoir d'autres. Je me souviens que pour cette raison, le pardon de ses fautes lui était refusé par l'Église à moins qu'elle ne laisse son corps à son mari, avec ou sans plaisir, au risque d'atteindre la douzaine. Je me souviens qu'elle a refusé et qu'elle a quitté l'Église comme beaucoup d'autres femmes de sa génération. Je me souviens que ma mère s'est ensuite séparée de mon père et que nous sommes devenus la cible des regards et des commentaires désobligeants de notre paroisse. Cependant, je me souviens qu'à la suite de sa séparation, nous avons vu le collet romain sur la table de nuit. Le prêtre voulait-il tester les moyens de contraception de l'heure?
 
   
Dans la même décennie, je me souviens que la cousine de ma mère a obtenu le divorce et qu'elle a reçu du même coup son excommunication de Rome.
 
    Je me souviens que quelques années à peine avant ma naissance, les femmes ont obtenu le droit de vote et en même temps le droit d'être considérées comme des citoyennes à part entière dans la société.
 
    Je me souviens que, tour à tour, ma mère et ma belle-mère ont vu une opération urgente retardée en attendant que leur mari respectif, de qui elles étaient séparées de fait et non légalement, apposent leur signature pour autoriser l'intervention chirurgicale.
 
    Devenue adulte, je me souviens que grâce aux pressions de la génération précédente, j'ai eu accès aux premiers moyens de contraception qui m'ont permis de restreindre le nombre de mes propres rejetons. Je me souviens aussi qu'il n'était plus  péché de manger de la viande le vendredi. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ceux qui sont allés en enfer. J'espère qu'on les a rapatriés.
 
    Devenue adulte, je me souviens avoir travaillé dans des environnements traditionnellement réservés aux hommes. Je me souviens des frustrations de ne pas avoir été traitées au même titre que les hommes dans les entreprises et surtout dans la vie en général. Je me souviens qu'après avoir eu un fils, je ne voulais plus d'autres enfants de peur que ce ne soit des filles, par solidarité et parce que le travail qui restait encore à faire pour atteindre l'égalité était énorme. Je me souviens des efforts que beaucoup de femmes ont dû déployer pour se faire reconnaître et pour obtenir des postes administratifs de haut niveau. Je me souviens du militantisme de beaucoup de femmes qui ont travaillé d'arrache-pied pour obtenir l'équité dans notre pays comme politicienne, au sein des chambres de commerce, des syndicats, du Conseil du statut de la femme, etc.
 
    Je me souviens qu'il a fallu plus de cinquante ans d'efforts collectifs pour nous libérer de l'emprise de l'Église et de la religion sur nos vies. Je me souviens qu'il a fallu plus de soixante ans (1940 à 2006) pour obtenir l'équité salariale et que ce n'est pas encore fini. Mes soixante ans font que je sais que rien n'est acquis dans la vie et qu'il faut maintenir, voir redoubler nos efforts pour ne pas perdre le résultat de tous ces labeurs.
 
    Je ne suis pas raciste, cependant, lorsque je vois d'autres ethnies, imprégnées par leur religion contrôlante, vouloir s'imposer dans notre société, j'ai peur. J'ai peur parce que ces hommes et ces femmes ne savent pas quel chemin nous avons parcouru. De plus, les jeunes québécoises qui embrassent cette religion qui voile les femmes ne se souviennent pas. C'est donc par ignorance
 
Grand-mère Johanne Chayer
D. Piché-Reid
R. Forbes