La première fois que j’ai assisté à une performance du duo de guitaristes Fortin-Léveillé, c’était à Saint-Placide dans le cadre des dimanches champêtres organisés par des ouvreurs d’art, comme le sont les Diffusions Amal’Gamme à Prévost. Ces quelques spectacles musicaux nous sont offerts en août devant l’église de Saint-Placide, sur les rives du très beau lac des Deux-Montagnes. Les gens présents sont assis sur l’herbe ou ont apporté leur chaise pliante pour passer un doux moment. L’atmosphère est à la farniente. Tout ce que nous désirons, par un très beau dimanche après-midi, c’est de se laisser bercer tant par les douces vagues et le paysage du lac que par la très belle musique qui nous est offerte. Dans ce cadre bucolique où il y a du va et vient, où des enfants courent, la musique du duo Fortin-Léveillé trouve facilement son nid. C’est comme si nous étions sur une plage du sud. La musique du duo inspirée de celle du Brésil, gitane et jazz, aux douces chaleurs, se prête à merveille à un tel décor, à une telle atmosphère.
Samedi dernier, le 24 octobre, c’est dans un décor tout autre que nous étions conviés pour entendre la musique chaleureuse du duo. Dans une salle de spectacle, comme l’est la salle de l’église Saint-François-Xavier de Prévost, l’atmosphère est tout autre. Nous pouvons certes nous fermer les yeux et nous imaginer ailleurs pour mieux nous laisser bercer par leurs mélodies riches et envoûtantes. Encore faut-il que les artistes y contribuent eux aussi…
Je n’ai rien à dire sur leur performance musicale. Luc Fortin et Richard Léveillé sont deux très grands guitaristes. Sur leur guitare à cordes de nylon, ils interprètent leurs propres compositions ou celles des autres avec beaucoup de doigté, de richesse, de subtilité. Ils maîtrisent parfaitement leur art. Complices depuis plus de vingt ans, comme un vieux couple probablement, ils n’ont plus besoin de se parler, de s’expliquer les choses pour se comprendre musicalement. Toutefois, comme dans de nombreux couples qui vieillissent, une certaine nonchalance s’installe. Qui n’a pas entendu ce mari vieillissant qui dit à sa femme : « Tu sais bien que je t’aime, sinon je ne serais pas avec toi! »?
Il n’y a pas de nonchalance dans la performance musicale du duo Fortin-Léveillé. Elle se retrouvait plutôt dans la présentation, dans la présence du duo. Richard Léveillé nous disait en fin de spectacle qu’il se croyait comme dans son salon. C’est peut-être ce qui m’a dérangé dans cette prestation musicale. Certains ont sans doute apprécié le côté salon du spectacle. Personnellement, cela m’a agacé. Je n’étais pas cette fois sur les rives du lac des Deux-Montagnes.
Premièrement, nous pouvions entendre Fortin et Léveillé parler derrière le rideau lors des présentations des Diffusions Amal’Gamme au début du spectacle et au retour de l’entracte. D’autre part, il semblerait que le duo décide de leur programme musical à la toute dernière minute, ce qui donne pour résultat que Luc Fortin ne semblait pas très souvent au courant de la prochaine pièce musicale qu’il devait interpréter, devant essayer de lire sur les deux feuilles manuscrites déposées au sol par Richard Léveillé. Certes, je ne suis nullement un guitariste ou un très grand connaisseur en la matière, mais c’était la première fois que j’assistais dans une salle de spectacle à une prestation musicale où les deux musiciens avaient un besoin régulier de réaccorder leur guitare. Richard Léveillé a beau essayé de nous amener à en rire, mais cela demeure agaçant, surtout quand Luc Fortin le fait alors que Richard nous parle.
Personnellement, ce qui a quelque peu humanisé ce spectacle, c’est la présence de Richard Léveillé. Tout au long du spectacle, entre les exécutions musicales, il a su dérider la salle avec ses anecdotes ou ses explications humoristiques. Nous sentions, de sa part, qu’il était heureux d’être parmi nous. Toutefois, je ne peux en dire autant de Luc Fortin. J’avais plutôt le sentiment qu’il travaillait et qu’il avait hâte de nous quitter. Son langage corporel le trahissait et mettait un nuage sur le soleil que Richard Léveillé voulait nous apporter en ce samedi pluvieux et brumeux d’octobre.
Il y a de ces artistes, chanteurs ou musiciens, que nous aimons entendre à la radio ou avec leur cd récent ou non. Toutefois, cela vous est sûrement arrivé, comme à moi, quand nous allons les voir en spectacle, nous sommes déçus parce que nous nous disons que nous aurions tout aussi bien dû nous contenter d’écouter simplement leur musique sur cd parce que la présence humaine fait défaut dans leur spectacle. Même si, paraît-il, il s’est amélioré avec le temps, Francis Cabrel en est sans doute pour beaucoup de gens une illustration très concrète. Cela n’enlève rien au talent de l’artiste, mais est-il nécessaire de dépenser plusieurs dizaines de dollars, dans certains cas, quand la présence humaine fait défaut?
En ce samedi de fin octobre, à Prévost, si nous n’avions eu droit qu’à la performance de Richard Léveillé, cela aurait été déjà très intéressant. Personnellement, le brouillard qui existait à l’extérieur se retrouvait dans la salle par la présence non chaleureuse de Luc Fortin. Il ne suffit pas d’être un maître dans son art, de savoir sortir toute la fine dentelle de sa guitare, encore faut-il partager avec l’auditoire notre sentiment d’être heureux d’être présent. Pour moi, Luc Fortin n’est pas venu partager son art musical avec nous. Il est venu travailler. Je fais peut-être erreur, mais c’est ce que j’ai profondément ressenti.
En dehors de ce bémol important, certes, la musique du duo Fortin-Léveillé mérite toute notre écoute. Si vous n’avez pas encore de cd de ce duo québécois très talentueux, n’hésitez pas à aller chez votre disquaire préféré pour vous procurer un de leurs nombreux albums. Vous ne regretterez pas cette écoute pour votre voyage dans le Sud cet hiver, pour votre piscine de l’été prochain ou pour vos rêveries…
Pierre Lauzon
Les éditions Pommamour