À la sauce chinoise aigre-douce

Envoyer Imprimer

Quotidiennement, nous répondons présents en très grand nombre quand il est question de buffet chinois ou d’acheter des produits made in China, non seulement dans les Wal-Mart ou Dollarama d’ici, mais également dans la plupart des autres commerces de toute nature. Toutefois, quand on reçoit une invitation pour mieux connaître la culture ou la musique de cette très grande puissance asiatique, nous brillons plus par notre absence.

C’est ce qui s’est produit samedi dernier à Prévost. Très peu de gens ont répondu positivement à l’événement musical des Diffusions Amal’Gamme. Il faut saluer l’audace de ce grand diffuseur des Laurentides d’avoir programmé un tel concert, pas évident à première vue. Par contre, comme nos ouvreurs d’art se donnent aussi comme mission d’élargir nos horizons musicaux avec des artistes et des cultures d’un peu partout à travers la planète, il faut reconnaître qu’ils et elles sont fidèles à leurs objectifs. Certes, il faut aussi de la part du public un certain effort pour se rendre disponible à ces cultures qui ne nous sont pas familières. Cet effort, cette acceptation se doivent d’être positifs tant dans la présence physique que dans l’audition. Nous sommes très ouverts aux marchandises étrangères, mais notre fermeture est encore plus évidente à leur culture.

En ce premier samedi de mai, ce sont deux artistes d’origine chinoise qui nous avaient donné rendez-vous pour un concert « Cordes d’Orient » où le erhu et le violoncelle étaient mis en valeur. Le erhu est une sorte de violon chinois à deux cordes qui se joue avec un archet, mais qui ne peut émettre toutes les notes de la gamme que nous connaissons.

Shen Qi est cette artiste chinoise de très grand talent qui donne vie au erhu. C’est avec beaucoup de grâce qu’elle a su nous faire apprivoiser cet instrument pas nécessairement évident à première vue. Avec si peu de cordes, elle a su à plusieurs reprises nous faire oublier que son instrument n’était pas notre violon traditionnel. Si vous n’étiez pas là en l’église Saint-François-Xavier de Prévost, vous pouvez apprécier son talent exceptionnel à travers son erhu en allant d’ici novembre prochain au Jardin de Chine du Jardin botanique de Montréal.

Son complice de concert était Luo Di, un violoncelliste de très grand talent, lui aussi, qui a étudié avec les plus grands maîtres chinois et d’ici. Membre fondateur de plusieurs ensembles musicaux au Québec, il a participé à de très nombreux concerts avec orchestre ou en récitals solo. En 2006, il a effectué une tournée dans son pays natal, tout comme il en a fait une avec les Jeunesses musicales du Canada.

Encore une fois, ce ne sont pas avec des artistes de seconde classe que les Diffusions Amal’Gamme nous ont donné rendez-vous. Le talent était encore une fois très évident. Contrairement à certains artistes récents qui ne nous avaient offerts que des œuvres musicales inconnues du grand public, Shen Qi et Luo Di avaient évidemment programmé plusieurs pièces musicales d’origine chinoise, mais ils ont su nous surprendre avec des interprétations très justes d’œuvres occidentales comme Stardust, Danny Boy et le fameux Canon de Pachelbel. Venant d’artistes chinois et jouant en bonne partie un instrument on ne peut plus chinois, il fallait le faire. Chapeau et merci pour cette attention envers le public!

Là où la sauce chinoise, si je peux me permettre, prenait un goût aigre ou plus désagréable, c’est lorsqu’un ou l’autre des deux artistes s’adressait à la salle. Car c’est surtout en anglais que cet échange s’est fait. Tous les deux ayant beaucoup de difficultés à s’exprimer en français, ils passaient rapidement à l’anglais. Notons bien ici que nous n’avions pas affaire avec deux artistes chinois fraîchement débarqués d’avion, en tournée mondiale. Tous les deux résident au Québec depuis plus de dix ans, mais ils n’ont pas encore compris et appris qu’au Québec, le français est la langue officielle d’échange et de communication pour tout le monde. Quand on est incapable de respecter ce droit fondamental, en tant qu’artiste, ou on s’abstient de dialoguer avec le public et encore moins de susciter des questions, même si c’est fait gentiment, ou on se fait accompagner d’un ami qui parlera en notre nom et fera les présentations d’usage des pièces musicales au programme.

N’eût été de ce goût aigre dans le concert qui en a irrité plusieurs, l’effort du public pour s’ouvrir à cette culture si importante a été largement récompensé. Nous serions en droit de nous attendre à un effort aussi valable de la part de ces deux artistes s’ils sont invités à nouveau à se produire non seulement dans les Laurentides, mais également un peu partout au Québec. Leur concert serait plus ensoleillé, absent de ce gros nuage linguistique qui fait ombrage à leurs prestations. La Chine n’est-elle pas le pays du Soleil levant?


 

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour