Prodigieux? Pas seulement le piano!

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Savez-vous où était, entre autres, le bonheur en ce samedi soir du congé de l’Action de grâce? Il était dans la salle de l’église Saint-François-Xavier à Prévost. Je l’ai vu, comme de très nombreuses personnes qui avaient répondu à l’invitation des Diffusions Amal’Gamme pour assister au récital de Lucille Chung, une pianiste d’origine montréalaise.

Quand j’ai quitté ma résidence pour me rendre à ce rendez-vous de notre important diffuseur laurentien, j’avais en tête le titre de ce spectacle, Le piano prodigieux. Quand on donne un titre à tout spectacle, ce n’est pas anodin. Cela crée des attentes. Cela annonce les couleurs du rendez-vous. Avec un tel titre pour le récital de madame Chung, on plaçait la barre drôlement haute. Donc, les attentes de tous étaient élevées. Il y a alors grand risque d’être déçu. Prodigieux, ce n’est pas n’importe quel mot. Il est symbole de haute performance, de très grand talent, de maîtrise de son art. Je fus ravi, en arrivant à l’église Saint-François-Xavier, de constater qu’une assistance, sans doute record, avait envahi cette salle intimiste. Le piano majestueux attendait sagement son artiste dans un décor soigneusement préparé. Tout était prêt pour la rencontre musicale. C’est comme un premier rendez-vous amoureux. Serons-nous déçus d’avoir trop idéalisé ou espéré cette belle inconnue?

Quand nous prenons connaissance des notes biographiques de Lucille Chung, nous sommes hautement impressionnés par le parcours de cette jeune pianiste québécoise qui n’est pourtant qu’au tout début de la trentaine. Dès l’âge de dix ans, elle jouait avec l’Orchestre symphonique de Montréal et remportait le Premier prix du Concours international de piano Stravinsky. La liste des très nombreux récitals qu’elle a donnés depuis ce temps dans les salles les plus prestigieuses de notre planète et avec tout autant de chefs hautement réputés est très impressionnante. La critique est partout dithyrambique. Même Claude Gingras de La Presse a souligné sa clarté, son charme, sa tendresse, sa saine virtuosité.

Lucille Chung, qui parle couramment six langues, n’est pourtant pas issue d’une famille de musiciens. Sa mère a œuvré dans l’alimentation et son père a été professeur titulaire du département des Sciences biologiques de l’Université de Montréal. Ils étaient d’ailleurs présents à ce récital de leur fille à Prévost. Elle a une sœur qui œuvre dans le monde de la finance. Donc, nous ne pouvons pas dire qu’elle est tombée dans l’univers de la musique à sa naissance, comme nous disons parfois de certains artistes.

Dès son entrée sur scène, l’assistance était sous le charme. Cette belle grande artiste a tout de suite mis son auditoire dans sa petite manche (même si elle n’en avait pas) par son sourire et la grâce avec laquelle elle s’est installée au piano pour nous offrir une sonate de Mozart. À l’écoute des premières notes, nous avons tous senti que nous allions vivre une rencontre exceptionnelle. La promesse d’un piano prodigieux semblait déjà se concrétiser. Nous ne serions donc pas déçus. Car tout le monde sait que ce sont toujours les premières minutes d’un rendez-vous, quel qu’il soit, qui sont les plus importantes et qui donnent, règle générale, le ton au reste de la rencontre.

Lucille Chung n’est nullement une technicienne du piano, c'est-à-dire une artiste qui s’installe à son piano et qui nous interprète les œuvres au programme en les lisant le plus souvent sur ses feuilles musicales. Madame Chung est tout le contraire. Sans aucune partition devant elle, elle ne s’attaque pas à une œuvre que ce soit de Mozart, de Chopin ou de Saint-Saëns. Elle fait plutôt corps avec l’œuvre. Elle la vit. Elle s’en pénètre pour mieux nous en transmettre tout autant l’extrême douceur que toute la fougue de la création d’un de ces grands maîtres de notre musique.

Nous aurions été nombreux à vouloir prolonger ce bonheur qui planait parmi nous tous en cette salle de Prévost. Nous savons que le bonheur n’est jamais éternel. Il n’est qu’épisodique. Il n’est toujours que de passage. C’est à nous de le reconnaître et de le savourer pleinement. Car, en ce samedi soir laurentien, il n’y avait pas que le piano qui était prodigieux. L’artiste l’était avant tout. Si un instrument, quel qu’il soit, pouvait nous parler, il reconnaîtrait qu’il n’est rien sans l’artiste. À Prévost, le piano fut prodigieux parce que Lucille Chung est prodigieuse. Que dire de plus…

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour