Un rendez-vous froid

Envoyer Imprimer

Pour son dernier spectacle de 2010, en ce dernier samedi de novembre qui nous a donné sûrement la première neige qui nous permettra de vivre notre Noël blanc, les Diffusions Amal’Gamme nous conviaient à une Schubertiade, mettant en vedette Jonathan Crow, un prestigieux violoniste canadien, originaire de la Colombie-Britannique, et Philip Chiu, un pianiste à l’avenir tout aussi prometteur.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les Schubertiades. Mais, au fait, que sont des Schubertiades? Évidemment, ces événements musicaux ou ces récitals font référence à l’œuvre du compositeur autrichien du début du dix-neuvième siècle, Franz Schubert. En fait, c’est du vivant même du compositeur que sont nées ces Schubertiades, auxquelles participait d’ailleurs le prolifique compositeur. À cette époque, c’étaient véritablement des événements exceptionnels. En plus de la musique de Franz Schubert, il y avait aussi, entre autres, des lectures de poésie et de la danse. Aujourd’hui, les Schubertiades n’ont plus, sauf exception, cet éclat d’antan. Elles ne sont plus que des occasions de récitals pour rendre hommage à la musique d’un des grands maîtres de la musique classique.

Même si Franz Schubert n’a pas vécu longtemps, il est mort à trente et un ans, il n’en a pas moins laissé une œuvre immense de plus de mille compositions. Pour notre Schubertiade de Prévost, nous avons eu droit à une sonate, à un rondo et à une fantaisie du maître autrichien. Évidemment, chacune de ces compositions comportaient plusieurs mouvements, ce qui implique pour le spectateur beaucoup de minutes d’écoute continuelle sans pouvoir manifester son appréciation. Il importe donc que l’œuvre interprétée puisse réjouir véritablement l’oreille du spectateur, le stimuler, le tenir en éveil, l’amener ailleurs, ce qui devrait être le but premier de toute œuvre musicale.

 D’entrée de jeu, il ne saurait être question de mettre en doute l’indéniable talent des deux artistes invités. Tant Jonathan Crow que Philip Chiu sont deux jeunes artistes de très grand talent. La feuille de route de monsieur Crow est déjà très impressionnante. Celle de monsieur Chiu est tout aussi prometteuse. Toutefois, comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, le talent ne suffit pas. En tant qu’artiste, il faut avoir la capacité de transmettre l’œuvre que nous interprétons aux gens présents, avec chaleur, avec passion. Il ne suffit pas de s’exécuter, de jouer même à la perfection une œuvre, quel qu’elle soit, pour que le charme opère, pour que le bonheur musical soit présent.

Pour ce dernier samedi de novembre, dans la salle de l’église de Saint-François-Xavier de Prévost, où plusieurs personnes avaient encore répondu positivement à l’invitation de notre diffuseur laurentien, je n’ai pas senti personnellement cette chaleur musicale. Si certains ont semblé apprécier le grand art de nos deux interprètes et ont ainsi passé une très bonne soirée, ce fut beaucoup plus difficile pour moi. Certes, je ne suis pas un très grand connaisseur de la musique en général. Je ne saurais vous dire si Jonathan Crow a joué ou non faussement à une occasion ou deux, si Philip Chiu a eu des faiblesses dans son doigté. Comme je vous l’ai déjà écrit, je ne suis qu’un monsieur Toutlemonde qui s’intéresse beaucoup à l’univers musical et qui ne demande pas mieux que d’être charmé par ce qu’il voit et par ce qu’il entend.

Personnellement, j’apprécie que, lorsqu’un interprète nous offre plusieurs œuvres d’un des grands maîtres de la musique, il essaie d’incorporer au moins une interprétation plus connue d’une de ses œuvres. Ce ne fut pas le cas pour cette Schubertiade. Quand il y a deux interprètes au programme, j’apprécie de pouvoir voir clairement les deux artistes à l’œuvre. Ce n’était pas le cas pour cette rencontre où le très grand Jonathan Crow et son lutrin cachaient passablement Philip Chiu. C’est sans doute la tradition de mettre de l’avant le violoniste, mais il serait tellement plus agréable de pouvoir apprécier l’interprétation de l’un et de l’autre, surtout quand les deux sont à l’affiche et non que l’un sert de complément à l’autre.

J’ai apprécié que monsieur Crow s’adresse à nous dans un très bon français. C’est un grand signe de respect pour nous tous. Il aurait été souhaitable que nos deux interprètes répondent à la demande de l’auditoire pour un rappel en tombée de rideau. Cela aurait été une très belle occasion de nous livrer une œuvre connue de Schubert pour terminer ce rendez-vous sur une bonne note. Cela sera peut-être pour une prochaine fois.

À Prévost, nous avons eu droit à de la très grande visite en ce samedi soir. Le public qui y est présent de plus en plus en grand nombre n’est pas uniquement un public d’initiés et de très grands connaisseurs. Il serait apprécié que certains artistes en tiennent davantage compte à l’avenir, comme savent si bien le faire plusieurs autres. Quand des gens quittent à l’entracte, comme ce fut le cas samedi soir, c’est que les artistes n’ont pas su les retenir, les captiver suffisamment pour avoir le goût d’en redemander.

Heureusement, pour moi, cette soirée n’est nullement représentative que ce nous offrent habituellement les Diffusions Amal’Gamme. Ici, ce n’est pas notre diffuseur qui est fautif. Ce n’est pas lui qui est sur scène. Il est celui qui met la table pour les grands chefs, pour les artistes. Ce sont à eux de nous faire apprécier ce qu’ils ont décidé de mettre à leur menu musical. Avec ce que proposent les Diffusions Amal’Gamme dès le retour à la mi-janvier, nous ne pouvons qu’entrevoir un hiver chaud musicalement à Prévost.

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour