Oui, je me rappelle…

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Claude,

Je suis très triste ce matin. Je viens d’apprendre ton décès. C’est bien sûr qu’il était normal que tu nous quittes un de ces jours, surtout depuis ton AVC en 2004. Toutefois, pour les gens qui occupent une place particulière dans nos cœurs, on voudrait tellement que cette échéance n’arrive jamais. Même si on sait que c’est pourtant cela la vie. Des gens comme toi ne devraient pas avoir le droit de mourir. Ils devraient avoir une santé éternelle. Je sais que cela n’a aucun sens. Mais la mort a-t-elle un véritable sens?

Comme lorsque j’avais appris la mort de Félix en 1988, mon cœur est rempli d’une profonde tristesse.

 Car j’ai tellement de beaux souvenirs de toi. Le premier est certes celui où tu avais charmé mon cœur d’adolescent quand je t’avais vu, en personne, dans ton savoureux rôle de Cloclo, lors de ta visite dans le gymnase du Séminaire de Sainte-Thérèse (aujourd’hui, le Cégep Lionel-Groulx) où je faisais mon cours classique de l’époque. Tu y étais avec d’autres pour un enregistrement télé de l’émission Domino. Mais c’est toi qui volais déjà la vedette. Puis, il y a eu naturellement tes chansons qui m’ont accompagné tout au long de ma vie. Et que dire des spectacles qui ont fait plus que mon bonheur! Je me rappelle du spectacle historique que tu avais concocté avec le grand Félix et dont un album, qui règne dans ma collection de disques parmi mes préférés, en est issu. Je l’avais vu au Patriote de Sainte-Agathe. Quelle merveilleuse soirée j’avais passé en ta compagnie et celle de Félix! Comment oublier un tel moment de bonheur musical? Il y a eu aussi ce spectacle en plein air que tu avais donné à Oka, où je résidais à l’époque, dans les années 90, suite à la crise tristement historique. Quel beau baume sur nos plaies encore fraîches!  Même si le ciel était hautement menaçant tout au cours de la soirée, Mère Nature n’a pas osé venir perturber ce concert plein d’affection sincère.

Il y a eu, enfin, ce spectacle d’avril 2004 au Théâtre Lionel-Groulx, quinze jours avant ton AVC. Sachant que, pour ce spectacle, tu étais seul au piano, j’ai eu l’idée de t’écrire, comme on envoie une bouteille à la mer. Connaissant ton lieu de résidence, à Saint-Benoit de Mirabel, j’ai donc posté cette lettre en me disant que je n’avais rien à perdre. J’y disais toute l’affection que moi et ma conjointe, nous avions pour toi et ton œuvre. Je t’indiquais que nous serions présents à ce rendez-vous que tu nous donnais. Et je te demandais une faveur.

Ne sachant pas le programme musical de ce rendez-vous, je te demandais, si cela n’était pas déjà prévu, si tu pouvais y interpréter ce que je considère comme une des plus chansons de l’humanité, « Avec nos yeux, avec nos mains », chanson que tu avais composée avec Gilles Vigneault dans les années soixante. Nous avons assisté à cet autre moment de grand bonheur que tu avais préparé pour nous tous. Ma chanson n’était pas au programme. Toutefois, lors du deuxième rappel, en tombée finale du rideau, tu as parlé d’une lettre que tu avais reçue et qui te demandait de nous offrir une chanson qui t’était chère à toi aussi. Sans même la nommer, tu t’es placé à ton piano et, dès les premières notes, la salle d’un commun accord t’a témoigné tout le bonheur que tu ne cessais de lui procurer. Et que dire du mien, en particulier! Dans ma tête, tu jouais avant tout pour moi. Quel beau et immense cadeau de la vie! Après ce concert, j’avais pris quelques secondes pour te remercier personnellement de ta si grande générosité.

Quinze jours plus tard, j’avais appris avec beaucoup de tristesse cet AVC qui t’avais foudroyé à jamais sur scène. Je savais que ce que j’avais vécu lors de notre dernière rencontre, si fraîche encore dans ma mémoire, serait à tout jamais un des grands moments inoubliables de ma vie. Quand, par la suite, il m’arrivait de passer près de ta demeure, à Saint-Benoit, tu ne l’as jamais su, mais je te saluais toujours et je t’envoyais en esprit mes meilleurs vœux de santé.

Aujourd’hui, tu nous as quittés pour rejoindre les grands chantres francophones de notre humanité, les Leclerc, Brel, Brassens, Ferré et tant d’autres. Que le Paradis est privilégié! Heureusement, les Séguin, Piché, Boucher, Dufresne et plusieurs autres sont toujours parmi nous pour chanter comme toi notre quotidien et la beauté du monde, malgré tout.

Mon cher Claude, oui, je me rappelle! Allez, au revoir…

Pierre Lauzon       
Les éditions Pommamour