La troïka nostalgique

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Il y a plusieurs décennies, quelque part entre mon adolescence et l’âge adulte, j’ai fait partie d’une troupe folklorique, les Farfadets, à Sainte-Thérèse. J’en fus même le directeur. Notre répertoire de danses comprenait évidemment des danses du Québec, mais aussi juives et russes. Nous avons eu notre petite heure de gloire à l’époque à faire vivre sur scène la passion de ces peuples. J’ai souvenance qu’il fallait avoir beaucoup de souffle pour suivre le rythme le plus souvent endiablé de ces chorégraphies d’ici et d’ailleurs.

Quand, samedi soir dernier, j’ai été à la rencontre de Sergeï Trofanov, j’ai retrouvé ce parfum de jeunesse. Il nous avait donné rendez-vous dans la salle des Diffusions Amal’Gamme, à Prévost, où le charme d’un tel artiste ne peut qu’opérer. Monsieur Trofanov n’en est pas à sa première visite parmi nous. J’avais eu l’occasion de le voir performer il y a déjà plus de deux ans. J’avais été conquis, comme tout le public présent à Saint-Sauveur. Car, en plus d’être un excellent violoniste, Sergeï Trofanov est un charmeur dans l’âme. Il sait dès les premières notes, dès ses premières paroles, mettre son public dans sa petite poche musicale. Alors qu’à Saint-Sauveur, il était vêtu d’une façon classique avec veston et cravate, samedi soir, il avait revêtu une chemise classique russe, avec le rouge flamboyant, tout comme son complice, le merveilleux accordéoniste, Vladimir Sidorov. Déjà, sans que nous le sachions, cela allait donner le ton à toute la soirée.

En plus de monsieur Sidorov, Olga Trofanova, au piano, complétait cette troïka musicale. Tous trois sont sans conteste des artistes de très grand talent. Si monsieur Trofanov était le centre de cette soirée, ses deux complices ont su mettre admirablement en valeur leur instrument. Fait rare, pour montrer un peu plus le côté charmeur de notre violoniste, il fallait le voir remercier Vladimir et Olga après chacune des pièces, sachant fort bien que s’il réussissait à conquérir son public, il n’en était pas le seul responsable.

Évidemment, nous avons eu droit à tous les classiques russes ou tziganes. À de nombreuses occasions, même si parfois le titre ne nous disait pas grand-chose, dès les premières notes de l’interprétation, nous reconnaissions cette mélodie. Moi-même, je me revoyais dansant autrefois sur plusieurs de ces airs. Quelle belle époque essoufflante ! Il y a eu aussi le fameux thème de Lara du film « Le docteur Jivago », Un violon sur le toit, Hava Nagila, Les yeux noirs et Deux guitares. Monsieur Trofanov a invité en vain, à plusieurs reprises, le public à se lever et à venir à l'avant-scène danser sur ces rythmes le plus souvent endiablés. Personne n’a osé avoir ses deux minutes de gloire !  Même si ma conjointe m’y a aussi invité pour montrer mon savoir de jeunesse, je me suis gardé une certaine gêne, car « Pépé Pierre » n’a plus le même souffle qu’autrefois !

Pour qui voyait monsieur Trofanov pour la première fois, il est évident qu’il est très difficile de résister à ce charme russe, tant lorsqu’il joue que lorsqu’il chante ou taquine son public. Toutefois, même si la soirée fut des plus agréables, j’ai eu, tout comme ma conjointe, une impression de copier-coller de son spectacle d’il y a deux ans à Saint-Sauveur. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais des attentes à ce qu’il nous offre des pièces québécoises, car si monsieur Trofanov a une carrière internationale, il est un des nôtres depuis plus de vingt ans et il a déjà produit un album, « Québec Passion », où il nous offre douze versions instrumentales de chansons populaires de notre paysage musical québécois. Ce sera peut-être pour une prochaine visite.

Malgré tout, nous ne saurions bouder notre plaisir, car, en fin de compte, comme chante si bien Robert Charlebois, dans son illustre chanson « Un gars ben ordinaire », plus on en donne, plus le monde en veut. Sergeï Trofanov nous a fait passer une très agréable soirée et m’a personnellement replongé dans cette jeunesse qui ne cherchait finalement qu’à s’exprimer à travers cette énergie russe, mais avec toute la douleur de ce peuple souvent incluse dans cette musicalité. Au plaisir, messieurs Trofanov et Sidorov !

Pierre Lauzon
Les éditions Pommamour

P.S. : Pour le premier samedi de février, c’est la jeunesse qui nous donne rendez-vous dans la salle des Diffusions Amal’Gamme. Deux jeunes pianistes qui ne demandent pas mieux que de nous conquérir. Yogane Lacombe et Jonathan Jolin, tous deux des Laurentides, veulent nous prouver que le talent n’a pas d’âge. À nous de répondre à leur invitation !