Les temps ont bien changé. Dans mon enfance à l’eau bénite, la période précédant Pâques était une période austère où pendant quarante jours nous nous étions privés de bonbons, où nous vivions péniblement les derniers jours, où l’espoir du retour des cloches, parties, semble-t-il, à Rome, signifierait notre résurrection annuelle. Durant mon adolescence, je vivais moins péniblement cette période en tant que servant de messe, lors des multiples cérémonies de la Semaine sainte. C’est ainsi que le Samedi saint, comme on disait à l’époque (et comme on le dit probablement encore aujourd’hui !), cette soirée se passait en grande partie dans la quasi noirceur, avec pour seule lumière celle des bougies et des lampions à l’église, en attente de la lumière de Pâques à minuit.
Pour mon Samedi saint de 2012, c’est tout autrement que je l’ai vécu, pour mon plus grand bonheur. Avec ma conjointe, nous avions répondu à l’invitation de Michel Corbeil, vous vous rappelez ce marchand de bonheur dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises et qui organise, avec une foi incroyable dans la musique et ses bienfaits, ses concerts chaleureux sous les chandelles. Habituellement, ces concerts ont lieu dans des églises. Cette fois ci, Samedi saint oblige, les églises n’étant pas disponibles, monsieur Corbeil avait choisi d’offrir son cadeau de Pâques au Centre culturel et communautaire de Sainte-Thérèse. Michel Corbeil a su recréer son ambiance habituelle avec ses multiples chandelles, ses très grandes photos, ses textes aux mots très choisis et livrés avec sa voix chaleureuse. Pour ce Samedi saint, il avait choisi de faire ressusciter pas moins de huit des plus grands compositeurs que l’Humanité ait pu nous donner. Pour leur redonner cette vie, il avait demandé à la très talentueuse pianiste, Alejandra Cifuentes Diaz de leur rendre l’hommage qu’ils se doivent de recevoir.
Alejandra, je vous en ai parlé récemment, puisqu’elle était de la programmation des Diffusions Amal’Gamme à la fin de février dernier. Je vous en ai dit tout le bonheur que nous apportent ses interprétations. Peu importe l’œuvre à interpréter, Alejandra y met tout son art pour être à la hauteur des attentes du compositeur. Ayant eu le privilège d’être aux premières loges, j’ai pu apprécier de voir de près le jeu de mains de cette pianiste aux doigts qui s’amusent follement sur le clavier, tantôt avec douceur, tantôt avec fougue, comme le commande l’œuvre.
Tour à tour, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Mendelssohn, Chopin, Brahms et Liszt sont venus nous saluer à travers les commentaires de Michel Corbeil et les interprétations d’Alejandra. Ils avaient revêtus leurs plus beaux habits pour la circonstance. Le public en était ravi. Pour nous remercier de notre présence et de notre accueil, notre pianiste nous a finalement offert le merveilleux « Clair de lune » de Debussy. Cela ne pouvait être plus de circonstance en ce soir de pleine lune. Notre résurrection annuelle était au rendez-vous grâce à la très grande thérapie qu’est la musique.
Pour ces rendez-vous musicaux, nous devons saluer et remercier notre marchand de bonheur, Michel Corbeil. Sans subvention, sans commanditaires ou partenaires financiers, il persiste et signe, car il croit avec justesse que la musique n’est pas là uniquement pour nous divertir, mais pour nous faire évoluer en tant qu’être humain. Il réussit avec si peu de moyens à intéresser et à enrichir autant de gens que d’autres, avec des moyens beaucoup plus grands, réussissent à le faire. Chapeau à Michel ! Il est de cette race d’humains dont nous avons grandement besoin pour que notre monde reste beau.
J’ai donc vécu ce Samedi saint d’une façon si différente de mon enfance et de mon adolescence. Je n’ai pu que m’en réjouir, d’autant plus que, sans le vouloir, Michel Corbeil m’avait réservé un cadeau tout à fait spécial. Sans le savoir, assis tout près de moi et de ma conjointe, un autre couple avait répondu à l’invitation de monsieur Corbeil. Nullement physionomiste pour deux cennes (cette espèce en voie de disparition !), je n’ai nullement reconnu ce monsieur. C’est lui qui m’a reconnu et qui s’est présenté à moi lors de l’entracte. Pour mon plus grand bonheur, je venais de revoir un ami d’adolescence que les circonstances de la vie avaient éloigné depuis près de cinquante ans.
N’est-ce pas cela la plus grande des résurrections, côtoyer les grands maîtres de la musique grâce à une pianiste de grand talent et revoir un ami après des décennies ? Alléluia !
Pierre Lauzon
Les éditions Pommamour
P.S. : La prochaine fois que vous entendrez parler qu’un Concert sous les chandelles a lieu dans notre coin de pays, n’attendez pas, ne remettez pas à une autre fois ! Le bonheur, quand il passe, il faut savoir le cueillir