Fascination et indifférence

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 Cela me fascine toujours de constater que non seulement les Diffusions Amal’Gamme réussissent à faire venir ici, dans notre coin de pays, à Prévost, des artistes de renommée internationale, mais aussi que pour ces mêmes artistes, il n’y a pas de scène trop petite pour faire vivre leur art. Car, entre vous et moi, nous ne sommes pas à la Place des arts de Montréal ou au Carnegie Hall de New York. C’est sans aucun doute le point de départ d’un très grand artiste. Ce qui leur importe, c’est que leur art s’exprime tout autant devant quelques dizaines de mélomanes que devant une scène de quelques milliers.

En ce premier samedi si magnifique de mai, c’est Arturo Nieto-Dorantes qui nous avait donné rendez-vous à la salle de spectacle de notre diffuseur laurentien. Monsieur Nieto-Dorantes est un pianiste de renommée internationale, qui est considéré par la critique comme le meilleur pianiste mexicain de sa génération. Ce n’est pas rien. Déjà, à l’âge de quinze ans, Arturo faisait sa première prestation en tant que soliste avec orchestre, en jouant le Concerto no. 2 de Chopin. Qui dit mieux ? Pour sa visite à Prévost, monsieur Nieto-Dorantes nous a offert un programme intitulé « Métamorphoses », un concert proposant de saisissantes interprétations de thèmes folkloriques d’illustres compositeurs comme Heitor Villa-Lobos, Claude Debussy, Manuel de Falla ou Sergeï Prokofiev, le tout servi à la sauce Nieto-Dorantes. Ce pianiste, qui parle un français impeccable, nous disait, en entrée de scène, que son concert qu’il s’apprêtait à nous présenter aurait pu tout aussi bien s’appeler « Amalgame », joli clin d’œil à notre diffuseur laurentien, car les pièces au programme venaient de compositeurs de partout dans le monde, regroupées autour de ce thème folklorique à la base.

Séduisant mexicain, qui sait parsemer ses présentations des pièces au programme d’un humour qui touche toujours sa cible, monsieur Nieto-Dorantes a su séduire son auditoire. Même le piano de notre diffuseur laurentien semblait être fasciné d’être entre les mains d’un si grand artiste. Sa fougue, sa technique impeccable, sa très grande virtuosité ont séduit le public de Prévost. Nous étions tous et toutes devant un véritable artiste, une espèce d’athlète musical, qui ne peut nous laisser indifférent devant autant de talent. Il fallait le voir, entre autres, durant son exécution de la « Danse rituelle du feu » de Manuel de Falla ou durant le Precipitato de la « Sonate no. 7, opus 83 » de Sergeï Prokofiev, pour être fasciné de voir les doigts de cet artiste de très haut niveau s’amuser follement sur les touches du piano. Cela transpirait de bonheur !

Si fascination il y avait, si indifférence il ne pouvait y avoir pour tous les gens présents dans la salle des Diffusions Amal’Gamme, l’indifférence était quand même palpable. Tout au plus soixante-dix personnes environ avaient répondu à l’invitation de notre diffuseur et de monsieur Nieto-Dorantes, y incluant les bénévoles des Diffusions Amal’Gamme, les journalistes et quelques représentants des généreux commanditaires, soit certes la plus petite assistance depuis belle lurette. Pourquoi ? Il faisait trop beau dehors ? Si c’est cela la raison, alors pourquoi il y a davantage de monde quand le temps est maussade ou qu’il fait un froid de loup à l’extérieur, n’incitant nullement à sortir par un tel mauvais temps ?

Personnellement, je crois que nous sommes un peuple souvent blasé, qui déteste être dérangé ou se déranger dans notre confort et notre indifférence, comme de nombreux autres l’ont proclamé bien avant moi. D’autre part, il y a l’offre artistique qui est de plus en plus grande dans nos chères Laurentides et il y a notre ignorance ou notre indifférence collective du passage d’artistes de très grand talent au sein même de notre communauté. C’est pourquoi un piètre humoriste québécois ou un film américain de faible niveau intellectuel aura plus de succès, fera davantage se déplacer le public qu’un Nieto-Dorantes. Et ce n’est pas parce que les médias locaux ne font pas largement écho de ces artistes de réputation internationale. Serait-ce parce que notre cerveau a des capacités limitées d’assimilation et qu’il ne suffit pas à la tâche de discerner, de séparer le bon grain de l’ivraie ? Excellent sujet de réflexion !

Ceci étant dit, je reviens à cette fascination de voir un très grand artiste, qui pourrait lever le nez sur un public si petit, se donner tout autant que s’il était devant un parterre de milliers de personnes. Un artiste de très haut niveau, ce n’est pas seulement dans la maîtrise technique de son art qu’on le reconnaît, mais c’est aussi dans cette rencontre essentielle pour que son art vive. Et pour cela, il n’y a jamais de public trop petit pour cela. Chapeau, monsieur Arturo Nieto-Dorantes ! Que dorénavant, nous soyons plus nombreux à venir à votre rencontre, car on vous connaît déjà un peu mieux. À la prochaine !

Pierre Lauzon
Les éditions Pommamour

P.S. : Le 19 mai prochain, les Diffusions Amal’Gamme nous offrent le quatuor « Ensemble En-le-vent » dans leur spectacle « Souvenirs d’un bel été ». Pour un avant-goût, cliquez : http://www.lesprosmg.com/muclassique_enlevent.php