Rheal Fortin: Aller au cÂœur du problème |
Lettre du lecteur |
Vendredi, 07 Décembre 2007 |
.08 % VS .05 %
AGIR OU DONNER L'IMPRESSION D'AGIR Difficile de plaider contre la vertu. Surtout lorsque comme moi, on souhaite solliciter la confiance de ses concitoyens lors d'une prochaine élection. Pis encore, quand ce qui à première vue semble être la vertu, se veut et semble, toujours à première vue, servir une cause qui vous touche d'aussi près. Il y a quatre ans en effet, un chauffard ivre a enlevé la vie de mon fils Nicolas. Il avait 18 ans. N'en doutez pas, ces quatre années n'ont en rien allégé mon deuil et n'ont pas davantage atténué ma colère contre l'irresponsabilité et la désinvolture insouciante de ces dangereux personnages.
La vertu voudrait peut-être ici que je milite pour quon réduise à 0 % le taux dalcoolémie autorisé pour la conduite automobile, quon réduise les limites de vitesse sur les routes du Québec, quon interdise toute distraction quelle quelle soit lorsquon est au volant, quon élimine de nos routes les conducteurs fatigués et que sais-je encore. Je ne prétends cependant pas à la vertu autrement que comme un idéal quon doit viser et en toute conséquence je ne la demanderai pas davantage. En fait, jaime bien vivre dans cette société humaine et imparfaite, dune imperfection qui me ressemble et qui ressemble à ceux que jaime. Me reste donc, à défaut de plaider pour cette apparente vertu, à plaider pour le bon sens. Le fameux et bon vieux gros bon sens.
Quand mes enfants étaient jeunes, je leur disais de marcher et de ne pas courir dans les escaliers parce que cétait dangereux. Si je voyais quils ne mécoutaient pas, je les envoyais réfléchir dans leur chambre. Et après, je les surveillais de plus près. Je nai jamais cru utile de réduire en deçà du pas de marche leur vitesse dans les escaliers.
Si mon fils avait lancé ses jouets à sa sur (je ne me souviens pas que ce soit arrivé mais
), je les lui aurais confisqués un certain temps. Et je laurais ensuite surveillé de plus près. Je ne crois pas que je lui aurais interdit les rouges ou les jaunes, ou que jaurais autrement limité le nombre de blocs avec lesquels il pourrait jouer.
Quand ils se sont chicanés (et ça je men souviens très bien!), je les ai encore envoyés réfléchir et je leur ai même déjà demandé décrire un petit texte sur le sujet. Encore là, je nai jamais songé à leur interdire de se parler ou de jouer ensemble. Au contraire, jessayais de les rapprocher et de leur apprendre à négocier.
Avec raison, notre gouvernement cherche actuellement des moyens afin dendiguer la conduite en état débriété. Je suis, pour toute sortes de bonnes raisons, en accord avec le projet. Le gros bon sens! Malheureusement, je narrive pas à suivre le raisonnement qui voudrait quon y arrive en réduisant la limite permise de .08 % au code criminel, à .05 % pour le code de sécurité routière. Je ne vois pas le lien. Et je ne parle même pas des problèmes dapplication que pourrait susciter cette dichotomie qui placerait le CSR en porte-à-faux de la norme prévue au Code Criminel qui elle, demeurerait de .08 %.
Je nai jamais entendu parler dun seul accident mortel dont on puisse imputer la responsabilité à un conducteur dont le taux dalcoolémie était de .06 % ou .07 %. Sil y a des statistiques à ce sujet, quon les fasse connaître. Pour ce que jen sais, dans les cas daccidents mortels ou avec blessures et où lalcool était en cause, les conducteurs dépassaient largement la limite imposée de .08 %. Plus souvent quautrement, leur taux dintoxication dépassait le double de cette limite.
Je ne dis évidemment pas ici que nous devrions revenir en arrière, à lépoque où cette nécessaire balise nexistait pas encore. Pas plus que je souhaite banaliser la conduite en état débriété. Au contraire, cest grave et en tant que fiduciaire dune société responsable, le gouvernement doit réagir. De notre coté aussi, en tant quusagers du réseau routier nous devons assumer nos responsabilités. À ce chapitre, la règle du conducteur désigné est encore la plus sûre et celle quon devrait suivre et encourager. Sinon, les transports en communs, les taxis et Nez rouge rendent de précieux services. Cest à ça et à rien dautre quon devrait sen tenir lorsquon a consommé de lalcool au-delà de la limite permise et quon a la responsabilité dun véhicule. Ceci dit, je me demande si cest bien de notre sécurité quon se préoccupe lorsquon propose de revoir à la baisse cette norme qui jusquici nous apparaissait pourtant bien raisonnable. Jaime bien boire une bière de temps à autre, surtout quand il fait chaud. Jaime aussi prendre un peu de vin en mangeant, même quand je suis en visite chez des amis. Jen bois évidemment moins que quand je suis chez moi et si je prévois boire davantage (pas une cuite, je ne me souviens même pas de la dernière, mais davantage que ce que je sais être en deçà de la limite permise), je massure que je naurai pas à conduire après la soirée. Je nai jamais cru être pour autant un criminel ou un danger public. Il semble pourtant que le cabinet de Jean Charest voit les choses différemment.
Jaurais quant à moi préféré voir le gouvernement attaquer le problème de front. Par exemple, pourquoi ne pas investir en effectifs et multiplier les barrages routiers? Ou encore, revoir à la hausse les peines imposées aux conducteurs fautifs (par exemple en prolongeant la suspension du permis de conduire), quil y ait des victimes ou pas? Ou même, dans certaines circonstances (ou en toutes circonstances?) imposer linstallation de léquipement qui empêche la mise en marche du véhicule lorsque le conducteur dépasse la limite? Léthylomètre. On y souffle et, selon ce que lui révèle notre haleine, lappareil laisse ou ne laisse pas démarrer le moteur. Qui sy opposerait sinon ceux quon veut justement écarter de nos routes? Sauf pour les revenus générés en amendes perçues, tous les barrages routiers du monde ne pourraient faire mieux.
Je ne prétends pas quil sagisse là des seules ni même des meilleures solutions à un problème sur lequel, je nen doute pas, de nombreux experts se sont déjà penchés. Ces idées ne sont que des exemples et en valent probablement plusieurs autres, toutes aussi bonnes et peut-être même meilleures. Mais croit-on vraiment que ceux et celles qui sont responsables de lhécatombe quon connait réduiront leur consommation dalcool parce que la limite permise est abaissée? Ils étaient déjà bien loin de cette limite de .08 % lorsquils conduisaient avec un taux de .13 % ou .17 % et souvent même davantage et surtout, ils le savaient très bien. Peut être est-il difficile dévaluer avec exactitude son taux dalcoolémie lorsquil se situe aux alentours de .07, .05, ou .08 %, mais quand on est « gommé » (passez-moi lexpression), on le sait. Et personne ne me convaincra que ces chauffards rentreront dans le rang du seul fait quon leur dise que dorénavant, ils seront en infraction un ou deux verres plus tôt.
Réduire les limites de vitesse ne sert à rien si aucun moyen nest pris pour sassurer quelles sont respectées. Ça notre gouvernement semble lavoir compris et propose limplantation des photos-radars. À mon sens, il en va de même pour la conduite en état débriété. Je comprends que ce soit plus facile de rabaisser la limite permise (ça ne coûte rien, personne nosera sy opposer et en campagne électorale on pourra se targuer de sêtre attaqué au problème). Mais la facilité nest pas toujours la voie la plus efficace. Quelquefois, il faut avoir le courage daller au cur du problème si on souhaite le régler.
Rhéal Fortin |