Vive les innocents? |
Johnny Marre |
Mercredi, 12 Août 2009 |
Le Petit Larousse définit l’innocence comme étant une absence de culpabilité, la pureté de quelqu’un qui ignore le mal ou la simplicité d’esprit, la naïveté, la candeur. L’innocent n’est pas coupable, n’est pas responsable de ce dont on le soupçonne. Il n’y est pour rien dans les événements dont il pâtit parce qu’il est pur et candide, mais aussi parce qu’il peut être simple d’esprit, naïf, niais. Autrefois, chaque village ou presque avait son innocent. Il n’était pas dangereux. Il errait souvent dans le village. Tout le monde le trouvait bizarre, mais personne n’en avait peur. Même s’il avait des habitudes ou des comportements hors normes, on savait qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. Le plus célèbre d’entre eux, au Québec, est certes Ti-Coune, l’innocent qui habitait chez Rose-Anna dans le très populaire téléroman « Le temps d’une paix » de Pierre Gauvreau. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il me semble que les innocents sont de plus en plus nombreux au Québec. Toutefois, ils se distinguent de ceux d’autrefois en ce qu’ils sont plus dangereux et font plus de dommages. Il y a aussi le fait qu’à priori, nous ne les trouvons pas bizarres. Au contraire, nous avons beaucoup trop tendance à leur faire confiance… parce que nous ne les dépistons pas si facilement. Ils savent si bien cultiver la candeur avant, pendant et après. Il y a des Vincent Lacroix ou des Earl Jones en qui nous confions tous nos avoirs financiers parce qu’ils nous promettent des revenus que les institutions normales ne sauraient nous garantir. Nous leur faisons confiance parce qu’ils sont tellement aimables. Ils ne feraient pas de mal à une mouche. Quand ils ne sont plus capables de remplir leurs promesses, nous les trouvons beaucoup moins innocents qu’ils n’en avaient l’air. Par contre, eux continuent de proclamer leur innocence en plaidant une mauvaise conjoncture économique, une récession ou une crise financière non prévue au départ. Ils ont raison d’être innocents parce qu’ils savent que, de toute façon, ils seront condamnés qu’à quelques années au maximum de réelle captivité. C’est si peu cher pour retrouver le gros lot qu’ils auront eu le temps de mettre à l’abri avant de se faire épingler, comme le font d’ailleurs presque tous ceux qui font faillite. Qui sont vraiment les innocents? Il y a tous ces meurtriers dont aucun voisin ne soupçonnait la violence à ce bon père de famille, à ce travailleur acharné ou à ce fils discret. Si ces gens ont commis l’irréparable, comme nous disons habituellement, ils sauront se trouver un bon avocat qui saura plaider l’enfance difficile qu’ils ont vécue, la séparation douloureuse des dernières semaines ou, mieux encore, le coup de folie ou le trou noir momentané. C’est évident qu’ils ont fait de malheureuses victimes encore vivantes ou non, mais ce ne saurait être de leur faute. Nous devrions les comprendre avant de les juger trop vite. Il semblerait que nous, si nous avions vécu ce qu’ils ont vécu, nous aurions sans aucun doute commis les mêmes erreurs graves. Qui prend-on pour des innocents, eux ou nous? Il y a cette jeune femme qui s’amuse à la folie à faire du Car Surfing avec cinq de ses amies. Elles ont un plaisir fou à reproduire ce qu’elles ont vu sur Internet ou entendu parler ici et là jusqu’au moment où l’une d’entre elles tombe la tête la première sur l’asphalte et ne se relève plus jamais. Aujourd’hui, il faut surtout comprendre la conductrice. Ce n’est pas une méchante fille. Ce n’était qu’un jeu innocent. Qui ne s’est jamais prêté à des jeux stupides lui lance la première pierre? Il y a ce père qui s’amuse comme un petit fou à filmer son rejeton de sept ans au volant de sa Honda. Il l’aime tellement son fiston qui est un très bon conducteur en herbe. Il est la fierté de son père, tellement qu’il décide d’étaler en toute innocence cette fierté sur Youtube. À sa très grande surprise, très peu de monde trouve cela formidable. Deux ans plus tard, il vient juste de comprendre son erreur de jugement. Vient-il de perdre son innocence à jamais? J’en ai marre de cette nouvelle race d’innocents. C’est comme si notre société au lieu de progresser régressait. C’est comme si la sagesse élémentaire était une espèce en voie de disparition. C’est comme si les vieux dictons « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », « Il faut tourner sept fois sa langue avant de parler », « Mieux vaut prévenir que guérir » ou « Il faut toujours réfléchir avant d’agir » n’avaient plus leur raison d’être, n’étaient plus dignes de notre siècle. Les nouveaux innocents pervertissent le sens premier du mot innocence. Vive les Ti-Coune! Vive les vrais innocents! Johnny Marre |