Qui es-tu pour m'évaluer? |
Johnny Marre |
Lundi, 16 Novembre 2009 |
Périodiquement, quand on s’inquiète de l’état de santé de notre système d’éducation au Québec, on recherche évidemment des coupables. Les premiers visés sont habituellement les enseignants, ces intervenants de la première ligne, ces combattants si importants dans le quotidien de tous les jeunes. On pense rarement aux administrateurs ou aux hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation qui imposent leurs idéologies pédagogiques et les remettent régulièrement en question dans la valse des réformes. Pour accuser et surtout condamner des prétendues coupables, il faut se baser sur des faits, sur des preuves. Alors, il y a toujours quelqu’un chez les intellos ou les médias du Québec pour interroger les instances de notre système d’éducation sur la nature et l’état de l’évaluation du travail des enseignants. Connaît-on le niveau de compétence et de performance des dizaines de milliers d’enseignants du Québec? Sinon, comment peut-on les condamner et exiger des correctifs dans leurs interventions quotidiennes pour que l’école soit de plus en plus de qualité? Le prof, qui a à évaluer périodiquement ses élèves tout au cours de l’année scolaire, se base certes sur des examens ou des travaux, mais aussi sur des contacts réguliers. L’enseignant côtoie ses élèves chaque jour au primaire, régulièrement au secondaire, au cégep ou à l’université. Il les voit vivre. Souvent, il connaît leur situation personnelle, familiale et leurs problèmes extérieurs à l’école. Ainsi, il pourra évaluer que, si l’élève Untel a échoué son examen ou que son travail ne répond pas aux attentes, ce n’est pas automatiquement une indication de la limite de ses capacités. Il fera le lien avec les problèmes que vivait l’élève Untel au moment de cet examen ou de la production de son travail. L’enseignant vit avec l’élève. Il ne fait pas que le croiser ici ou là dans une école. Il vit un contact privilégié avec l’élève qui est parfois beaucoup plus grand que ce même jeune vit avec ses parents. Donc, l’enseignant est très bien placé pour porter un jugement sur le cheminement de chaque élève pendant la durée de leur coexistence et même au-delà. Dans le cas du prof, qui est vraiment en mesure d’évaluer le travail de ce professionnel de l’éducation? Spontanément, vous aurez tendance à répondre la direction de l’école où enseigne ce prof. C’est loin d’être aussi évident. Quand j’ai débuté dans l’enseignement, il y a déjà plus de quarante ans, la routine administrative imposait une évaluation de chaque enseignant par la direction de l’école. Je n’y ai évidemment pas échappé. À l’époque, j’enseignais en 6e année. J’avais une approche dynamique et qui se voulait innovatrice avec mes élèves. C’est pourquoi, mon directeur d’école n’avait que des bons mots sur la qualité de mon travail et de mes interventions. Malgré que je débutais ma carrière, il estimait que j’étais déjà un des meilleurs enseignants de la commission scolaire. J’étais un enseignant très prometteur à ses yeux. Toutefois, très tôt dans ma carrière, je fis aussi mes débuts dans le syndicalisme enseignant. Très néophyte au début, j’ai appris assez rapidement les rudiments des relations de travail, à un tel point que j’étais capable d’argumenter avec mon directeur sur ses directives. De plus, ce qui l’irritait au plus haut point, c’est que, la plupart du temps, j’étais au courant avant lui de discussions qu’il y avait à la commission scolaire au chapitre des relations de travail ou des développements des négociations locales ou nationales. Alors que mon travail de prof était du même niveau que l’année précédente, est-il utile de vous préciser que d’excellent prof que j’étais, je suis devenu un piètre enseignant? Après une discussion de plus de trois heures, mon directeur a dû se résoudre à modifier à la hausse sa première évaluation. J’étais le même enseignant, mais mes activités syndicales hors de la classe irritaient mon directeur. Mon évaluation, non pas de syndicaliste, mais d’enseignant, en a donc pris pour son rhume. Avec les années, les directions d’école ont laissé tomber ces évaluations annuelles systématiques. Au cours de mes 35 années, il est arrivé qu’une direction annonce en début d’année qu’il y aurait des rencontres d’évaluation de notre enseignement en cours d’année. Toutefois, très souvent, cela n’avait pas de suite pour deux raisons fondamentales. Premièrement, les directions d’école d’aujourd’hui sont beaucoup plus des administrateurs qu’autrefois. Leurs énergies sont monopolisées davantage par la paperasse et les nombreuses rencontres de toutes sortes. Le temps manque et leur perfectionnement au niveau pédagogique ne trouve pas leurs racines dans leur quotidien. Leurs études sont beaucoup plus d’ordre administratif. Elles ne sont plus des pédagogues. Elles sont des gestionnaires. Deuxièmement, quand une direction manifestait son intérêt ou son obligation d’évaluer mon travail de prof, je lui faisais part que je n’avais pas d’objection à la condition qu’elle vienne passer quelques demi-journées dans ma classe pour me voir travailler concrètement et non en se fiant sur des perceptions extérieures. Sinon, je ne voyais pas sur quelles bases sérieuses elle pourrait porter un jugement juste et équitable sur le travail que je faisais au quotidien avec mes élèves. Est-ce utile de vous préciser qu’aucune direction n’a pris ce temps demandé, l’administration grugeant tout le temps qui serait nécessaire pour l’ensemble du personnel enseignant? J’en ai marre de ces tentatives d’évaluation bidon qui n’ont pour but de faire taire les hauts-cris ou pour passer pour de bons administrateurs. Pour évaluer qui que ce soit, il faut vivre le quotidien de ces gens. Les directions d’école n’ont pas ce pré-requis. Où est la solution? Johnny Marre P.S. : Je serai au kiosque des Éditions Pommamour lors de l’exposition des artistes et artisans à Prévost les 5 et 6 décembre prochain. Venez me dire bonjour! L’entrée est gratuite. |