Mot de passe oublié ?
Member Area

La15Nord.com

Sunday
Nov 24th
La hauteur des droits Imprimer Envoyer
Johnny Marre
Lundi, 03 Mai 2010

Au milieu des années ’80, ma conjointe et moi, nous avons ouvert un restaurant à Oka. C’était un lieu champêtre où on pouvait venir déguster une cuisine excellente qui avait comme caractéristique la présence de la pomme, sous ses différentes variables, de l’entrée au dessert, y compris un petit pain fait avec du jus de pomme. C’était le restaurant idéal pour un couple qui voulait passer un moment privilégié dans un tête-à-tête très romantique.

Pour contribuer à l’ambiance, nous avions fait un montage de nombreuses cassettes musicales où les très belles chansons d’ici et d’ailleurs se côtoyaient pour le plus grand bonheur de tous. Au lieu de nous brancher sur un poste de radio ou sur la musique classique habituelle que nous entendons dans de très nombreux restaurants, nous avions fait le choix de privilégier la chanson et la musique que les gens aiment, mais qui, dans certains cas, nous n’entendons pas assez ou nous n’entendons plus à la radio. Un de ces soirs, nous avons eu le privilège d’avoir la visite de Gilles Vigneault et de sa famille, des résidents de la municipalité voisine. Durant leur repas, sans aucune préméditation de notre part, c’est une chanson de monsieur Vigneault que nous avons pu entendre. Sa fille, Jessica, l’a fait remarquer à son père, tellement un tel événement devait être rare. Après le repas, je me suis permis de demander à Gilles Vigneault s’il avait objection à ce que certaines de ses chansons fassent partie de nos choix musicaux et si nous devions payer des droits pour le faire. Monsieur Vigneault m’a répondu qu’il n’avait évidemment pas d’objection à ce que l’on entende ses chansons, mais que, habituellement, nous devrions payer des droits d’auteur, même si c’était dans un petit restaurant. Il m’a dit, en quittant, qu’il en parlerait avec son gérant et qu’on nous donnerait des nouvelles à ce sujet. Nous n’avons jamais eu de suite à mon interrogation soit parce que Gilles Vigneault n’y tenait pas, soit parce que notre restaurant n’a pas vécu assez longtemps.

Il est évident que si le gérant de Gilles Vigneault avait exigé de payer des droits d’auteur pour faire entendre des chansons de notre grand poète québécois, nous aurions cessé immédiatement l’audition de nos cassettes maison et nous aurions diffusé de la musique classique ou nous nous serions branchés sur un poste de radio. Pourquoi? Parce que nous n’aurions pas eu les moyens de payer des droits d’auteur à monsieur Vigneault, ainsi qu’à tous les autres auteurs des autres chansons ou musiques.

Actuellement, une cause, celle de Claude Robinson, est très médiatisée et avec raison. Dans ce cas bien précis, nous avons affaire à une entreprise millionnaire qui s’est appropriée l’œuvre d’un auteur pour s’enrichir grandement, sans lui verser la plus petite cenne noire. Ils lui ont volé son idée de base, son personnage principal et les autres. Il n’est pas le seul, mais il n’y a que lui qui a décidé d’en faire la cause de sa vie.

Il y a là tout un monde de différences entre la cause légitime de Claude Robinson et l’exigence de payer des droits d’auteur dès que la plus petite œuvre ou extrait de chanson ou de musique est utilisée dans un lieu public ou pour compléter une autre œuvre. Certains s’objecteront formellement. Je veux bien reconnaître que tout travail de création devrait, en théorie, être rémunéré. Mais si on en fait une religion absolue, est-on prêt à en payer un prix sans doute plus élevé? Je m’explique.

Si Gilles Vigneault avait exigé de payer des droits pour faire jouer ses chansons dans le restaurant que nous opérions, il est évident que nous ne l’aurions pas fait. Nous aurions plutôt choisi de rayer les chansons de Vigneault de notre répertoire. Nous aurions alors privilégié de la musique qui fait partie du domaine public (parce que les auteurs sont décédés depuis plus de 50 ans) ou des pièces musicales d’auteurs qui ne sauraient jamais qu’une ou plusieurs de leurs œuvres sont entendues dans un coin perdu de notre planète (parce qu’ils ne demeurent pas au Québec). Qui aurait le plus à perdre? Nous ou Vigneault? Il est si rarissime d’entendre ses très belles chansons. Alors, si quelqu’un se permet d’utiliser une de ses chansons pour contribuer à l’ambiance musicale de son commerce (restaurant, cinéma, épicerie…), devons-nous le sanctionner et le pousser à choisir des pièces musicales étrangères, voire anglophones, ou devons-nous l’encourager dans l’audition des œuvres de chez-nous, ce qui ne peut avoir comme conséquence que d’élargir notre palette d’auditions des gens de chez-nous en français et, sûrement, de nous stimuler à acheter davantage leurs cd récents ou passés, et même d‘avoir le goût d’aller les voir en spectacle?

Actuellement, il y a, à Montréal, la présentation du Blues de la métropole, inspirée des chansons de Beau Dommage. Dans ce cas-ci, il est tout à fait normal (et c’est sûrement le cas) que les producteurs paient des redevances aux auteurs des chansons. Toutefois, est-il tout aussi normal que l’on exige des droits similaires parce qu’une ou quelques chansons de Beau Dommage soient entendues dans les couloirs d’un cinéma, dans les allées d’un centre d’achat ou de mon épicier Métro? C’est là que je pense que nous nous devons de faire preuve de discernement parce qu’une œuvre est faite avant tout pour être diffusée, et non cachée parce qu’il serait toujours question de sous. C’est de ce mur-à-mur dont j’ai souvent marre parce que c’est notre culture qui en paie le prix. Je suis moi-même un auteur. Je suis pour les droits d’auteur, mais nullement comme un absolu.

Que le respect soit avec vous et avec le bon jugement dans l’application des droits d’auteur!

Johnny Marre