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Mon père, qui es aux cieux… Imprimer Envoyer
Johnny Marre
Lundi, 14 Juin 2010

Salut, papa!

Il y a déjà trois ans que tu nous as quittés. Même si tu avais presque atteint la moitié de tes quatre-vingts ans, tu aurais pu profiter de la vie, de tes enfants, de tes petits-enfants, de tes arrière-petits-enfants pendant encore quelques années. Tu aurais pu connaître Émile, entre autres. Tu en as décidé autrement. Tes raisons, je peux les comprendre, sans pour autant les accepter. Depuis déjà quelques années, tu savais comment mettre un terme à ton voyage terrestre qui t’a déçu sur plusieurs plans. Par contre, je sais pertinemment que plusieurs autres facettes de cette vie t’emballaient. Ta fatigue humaine, de l’humanité aura eu le dessus. Tu en avais marre. Un point, c’est tout.

Toi, le très grand amant de la nature, il n’y avait rien pour te combler autant que de t’y retrouver, que ce soit à ton chalet des Laurentides, que ce soit pour me donner un coup de main dans mon verger de l’époque en pleine crise d’Oka ou que ce soit en te remémorant l’heureuse période, entre toutes, où tu travaillais jeune homme sur une ferme. Le bonheur premier pour toi était dans cette harmonie avec la nature. Tu serais certes très heureux de venir aujourd’hui passer quelques bons moments dans mon petit coin de forêt laurentienne ou dans celui d’un tes autres enfants.

Certes, ta présence me manque beaucoup. Tu pourrais me rétorquer que lorsque tu étais vivant, je n’étais pas le plus grand visiteur. Mais tu ne me le dirais pas parce que ce n’était pas dans ta nature. La vie t’ayant obligé à devenir autonome très jeune, tu prenais ce qu’elle te donnait et tu te débrouillais avec ses hauts, mais trop souvent avec ses bas. Tu étais de la race de ceux qui sont nés pour un petit pain. À quelques très rares exceptions, tu as accepté les fardeaux de la vie et tu t’es débrouillé pour en tirer le meilleur parti, jusqu’à renoncer à tes propres choix. Les autres, avant tout!

Quand nous sommes jeunes, quand nous quittons le nid familial pour prendre à notre tour notre envol d’adulte, quand nous croyons que notre père est là encore pour de nombreuses années, nous considérons, à tort ou à raison, que nous avons encore beaucoup de temps pour nous voir, pour échanger sur tout et sur rien. Les semaines, les mois, les années passent si vite, accaparés que nous sommes par nos vies quotidiennes, par notre travail, nos projets, notre quête du bonheur. Et le temps passe. Heureusement, la société civile a placé sur notre chemin des fêtes, commerciales le plus souvent, pour nous forcer à nous arrêter quelques instants dans notre course folle contre la montre!

Ce temps de partage, de rencontre, je ne l’ai pas assez pris avec toi à cause de mes propres choix quotidiens, mais aussi pour une raison que tu connais très bien et qui a été un obstacle majeur à notre dialogue chaleureux. Libéré de cet obstacle, j’aurais souhaité qu’enfin, nous puissions nous voir plus régulièrement, échanger sur nos cheminements personnels à travers, parfois, nos incompréhensions. Nous aurions été mûrs, toi et moi, pour un véritable dialogue père-fils afin de mieux nous connaître, mieux nous comprendre, mieux nous aimer. Tu en as décidé autrement très rapidement, trop rapidement. Au bout de ta vie, tu n’avais probablement plus le goût de revenir en arrière. N’étais-tu pas pressé d’ailleurs d’aller demander des comptes à un certain Dieu que tu avais toujours respecté, mais qui n’avait pas toujours été équitable envers toi???

Au-delà de ta présence qui me manque, il y a, encore plus, ta mémoire qui me fera défaut à tout jamais. Car, comme tu te plaisais souvent à le dire, quand quelqu’un, quel qu’il soit, meurt, c’est tout un pan de notre bibliothèque collective qui disparaît à regret pour toujours. Il n’y a pas que les gens connus qui ont une histoire qui mérite d’être immortalisée pour les générations à venir. Il y a des gens comme toi, même s’ils prétendent que leur vie n’a aucun intérêt, pour qui il serait des plus enrichissant de perpétuer leur mémoire, ne serait-ce au départ que pour leurs descendants.

Tu te souviens qu’à l’aube de tes 70 ans, je t’avais donné un beau cahier pour que tu puisses y écrire les hauts et les bas de ta vie, tes joies et tes peines, tes réflexions sur les multiples facettes de ta vie. Pour des raisons qui t’appartiennent, tu n’y as rien inscrit. Évidemment, à moi et à plusieurs de tes autres descendants, tu as raconté à l’occasion certains faits de ta vie. Mais rien de tout cela n’a été consigné d’une façon ou d’une autre. Tout comme des photos de toi, de ta vie qui sont dispersés ici et là, tes mots, tes pensées se perdront à tout jamais dans la nuit des temps. Tout comme j’aimerais lire un écrit biographique de mon grand-père, tant paternel que maternel, parmi tant d’autres, jamais tes petits-enfants et, encore moins, tes arrière-petits-enfants ne pourront le faire, ne pourront vraiment connaître qui tu étais. Parce qu’il est trop tard. J’en ai marre de toute cette mémoire qui se perd. Sommes-nous si riches pour nous en passer personnellement et collectivement?

Où que tu sois, papa, bonne fête des pères! Je t’aurai dans ma mémoire longtemps…

Que le respect soit avec toi et avec la mémoire des nôtres!

Johnny Marre 

 

Commentaires 

 
#2 Claire-Luce 2010-06-23 06:56 Merci d\'avoir partagé ces beaux mots avec nous. Mon père est décédé, lui aussi, de mort naturel mais il est parti beaucoup trop vite aussi. Nous le croyons éternel…mais sa mémoire est bien vivante en nous.

Merci
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#1 Louise 2010-06-17 07:09 Dans ce beau texte, j'ai eu l'impression que vous parliez de mon père qui a décidé de nous quitter encore plus tôt que le vôtre. Et je retiens l'idée du petit carnet "mémoire" que je vais m'empresser de remettre à ma petite maman pour qu'effectivement, un peu de leur histoire demeure vivante.
Merci!
Bonne fête des pères!
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