Musiciens cabotins |
Opinion |
Écrit par Pierre Lauzon |
Dimanche, 24 Octobre 2010 |
Après avoir eu droit à trois concerts de musique classique d’une très grande qualité, c’est à une soirée jazz que les Diffusions Amal’Gamme nous avaient conviés en ce 23 octobre dernier. Les invités, Men In Jazz, sont quatre jeunes musiciens francophones de la région qui ne demandent pas mieux que de vivre de leur musique dans le futur. Men In Jazz fut à l’origine, il y a trois ans, un duo composé d’un jeune tromboniste, Alexis Grant-Lefebvre, et d’un aussi jeune pianiste, Gabriel Bertrand-Gagnon. Depuis ce temps, Étienne Mason, batteur, et Francis Nadeau, basse, se sont joints au duo pour en faire le quatuor actuel. Trois des quatre membres du groupe sont issus ou étudient encore présentement à l’option musique du Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse. Nous sommes donc en présence de quatre talents en pleine émergence qui ne cherchent pas à se prendre trop au sérieux pour le moment. Le ton qu’ils donnent à leur spectacle est qu’ils sont là avant tout pour avoir du plaisir. C’est pourquoi ils aiment cabotiner. D’entrée de jeu, ils ont marqué ce que serait leur présence sur la scène de l’Église Saint-François-Xavier de Prévost. En arrivant sur scène, ils se sont dirigés vers un instrument pour nous livrer leur première pièce musicale. Heureusement, ce n’importe quoi jazzé, qui en inquiéta sûrement plusieurs venus encore nombreux, ne dura pas plus de trente secondes. Dans une petite mise en scène, digne du cégep, ils ont immédiatement reconnu que cela n’allait pas du tout et ils se sont alors dirigés progressivement vers leur véritable instrument. Si c’était pour nous démontrer dès le départ la différence entre des musiciens qui savent jazzer et des amateurs, le coup d’envoi était réussi. Ce cabotinage fut ainsi tout au long du spectacle, presqu’exclusivement de la part de Gabriel Bertrand-Gagnon, le plus cabotin des quatre, et de Alexis Grant-Lefebvre, les deux fondateurs du groupe, les deux autres étant davantage concentrés sur leurs interprétations. Ce cabotinage alla jusqu’à leur façon de se vêtir. Alors que la première partie du spectacle était dans les tons noirs avec cravate blanche, ils nous sont revenus en deuxième partie avec une chemise blanche et une cravate noire. Si leur cabotinage teintait la couleur de fond qu’ils désiraient donner à leur spectacle, dont la présentation de leurs pièces musicales, et, sans doute, pour amuser leur famille et leurs amis venus les voir à l’œuvre dans leur coin de pays, il en était tout autrement lors de leurs exécutions. C’est avec beaucoup de professionnalisme qu’ils nous ont livrés, entre autres, des œuvres de Miles Davis, de Chick Corea, de Charlie Parker ou de Dizzy Gillespie. Il y avait aussi quelques-unes de leurs propres créations, surtout d’Étienne Mason, le batteur. À chaque fois, il était très agréable de se laisser bercer ou entraîner par leur jazz inspiré. Régulièrement, tout au long de la soirée, leur prestation personnelle à l’intérieur de plusieurs des pièces au programme fut saluée par l’ensemble des gens présents. Alors que, la plupart du temps, un des membres du groupe nous débitait le plus souvent rapidement le nom et les créateurs des pièces qu’ils venaient d’exécuter et ce, après quelques interprétations, il aurait été plus plaisant de nous les présenter moins négligemment avant plutôt qu’après leur exécution par respect pour leur créateur. En terminant, je déplore et je déplorerai toujours que quatre jeunes québécois francophones se donnent un nom anglais pour faire carrière, comme si le fait d’avoir une appellation anglophone pouvait davantage ouvrir les portes de l’univers, faisait plus jazz ou était synonyme de talent à priori. Combien d’artistes de grand renom n’ont pas eu besoin d’angliciser leur nom pour prouver la grandeur de leur talent! C’était la mode, il y a plusieurs décennies, même en France (pensons à Johnny Hallyday). Serait-ce que même en 2010 on est encore incapable de s’assumer en tant que francophone sur notre planète? Le Cirque du soleil, pour n’en nommer qu’un, n’a nullement eu besoin d’angliciser son nom pour faire sa marque un peu partout. Fait cocasse : c’est le député de Prévost qui était le fier partenaire de cette soirée dans la semaine même du bâillon libéral sur la langue au Québec. Je reconnais que monsieur Robert n’est nullement responsable de l’appellation anglophone du groupe et qu’il n’a voulu que soutenir quatre jeunes musiciens de talent en devenir. En résumé, de très bonnes perspectives d’un avenir prometteur pour ces quatre musiciens au talent indéniable et déjà reconnu, mais le souhait de pouvoir s’assumer davantage et fièrement comme musiciens de jazz francophones, tout en continuant de cabotiner de plus en plus subtilement, de s’amuser dans le vaste univers de la musique. Pierre Lauzon |